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Equateur
19-
21 Mai "Arrivée et adaptation à Quito"
L'avion s'approche tranquillement de Quito, dehors
la couverture nuageuse laisse dépasser quelques sommets couverts
de neige. Les volcans sont au rendez-vous, je ne peux pas encore
dire leurs noms mais ils me semblent majestueux.
J'ai encore mon short et mes sandales, je suis
le seul de l'avion!!, ça doit vouloir dire que je ne suis
pas en phase avec le climat.
Il est 18h, bonne surprise il ne fait pas trop
froid, je me dirige vers les hôtels, pas chers! pour établir
mon camp de base. Je trouve l'hôtel Jeanne d'Arc, j'espère
avoir une réduction car je suis français, mais mon
sourire ne suffit pas, je paie plein tarif, 25 F, une chambre avec
douche et WC, j'ai pris l'option pour ne pas multiplier les verrues,
que j'ai déjà chopées sous les pieds....Le
froid arrive petit à petit, il fait 17 degrés, dire
que ça fait 1 mois que mon thermomètre varie entre
28 et 37 degrés, la sensation est agréable.
Le lendemain dimanche, je sors sur la place et
petit à petit je fais le tour des pattés de maisons:
En fait, je n'ai pas de guide et la sensation de chercher sans indication,
est assez désagréable. Je demande souvent mon chemin
et on me déconseille, pas mal de directions, à cause
de ma tête de touriste. Les escaliers sont durs à monter,
l'altitude fait son effet, je me revois 3 mois en arrière
à Mexico, avec le mal de bide en moins. Quito est une ville
verticale, les nombreuses églises dominent les quartiers
et les rues montent et descendent, ça peut paraître
débile, mais les villes traversées jusque là
sont plutôt plates. Je suis content de revoir des Indiens
en costumes traditionnels, avec les petits dans le dos de leur maman.
Par contre, j'en ai marre de voir la pauvreté, ça
me donne envie de rentrer. Une vieille femme est venue finir mon
plat, avant que la serveuse n'ait eu le temps de venir nettoyer
la table. Cette pratique a l'air courante.
Tout le dimanche ,je me ballade, fait une sieste
sur mon appareil photo, dans un parc. Le lundi est plus riche, tout
est ouvert, les 100 agences de voyages du quartier touristique affichent
des tours de partout, la ville bouge. Par contre impossible de trouver
un bon guide à acheter. Je me renseigne sur l'ascension du
Cotopaxi, un volcan avec un cratère à 5900 m, ça
me fait rêver, mais je ne m'en sens absolument pas capable
et me donne 2 semaines d'acclimatation.
22-
23 Mai "1ere sortie vers le volcan Pululahua"
Le guide ne devrait être reçu que
demain, je décide donc d'aller pas trop loin, à la
caldera du volcan Pululahua.
En chemin, je m'arrête à la Mita del
Mundo, zone touristique reconstituée autour d'un point de
la ligne de l'équateur. Là où une mission française
a défini la longueur du mètre en 1738. Un pied dans
chaque hémisphère, je n'ai à vrai dire, aucune
sensation. Par contre, je me pèse, car la non-rotondité
de la terre, me rend plus léger ici, que partout ailleurs,
sur la planète. Dans la queue vers la bascule, les filles
sont plus nombreuses, bizarre !
On accède à la caldera du volcan
par un chemin abrupt qui descend les 300 m de profondeur. En bas,
je pars à la recherche des paysans pour qu'ils me racontent
leurs histoires. Personne, les maisons sont cadenassées et
des panneaux signalent, qu'elles sont toutes à vendre. Je
croise quelques femmes qui lavent, elles me disent que les hommes
rentreront plus tard, elles ne me répondent pas sur les volcans.
Seul le garde de la réserve est là, pour faire payer
l'entrée, 40 F d'impôts pour les étrangers sans
aucune autre justification.
A la nuit tombante, le chemin principal du village
se remplit, les hommes arrivent avec leur monture au galop, les
femmes sont avec leurs enfants. En fait, c'est la récolte
du maïs, tout le monde travaille dans les champs. Assez loin
d'ailleurs, car certains me disent, qu'ils ont une heure de marche
avant de travailler. Je discute des volcans avec deux paysans qui
me disent, que tous les jeunes veulent aller vivre à Quito.
Je dors dans le foyer du village et suis content de passer ma première
nuit dans mon duvet.
Le lendemain, pas la peine de chercher à
discuter, je décide de monter sur un des deux dômes
de la caldera, le chemin se perd vite dans une végétation
impénétrable, je décide de rentrer à
Quito.
A Quito, je trouve enfin le guide sur l'Equateur et me paye un ciné,"
Tigre et Dragon".
24
-27 Mai "Fête de la communaute Morocho"
J'ai le guide, l'acclimatation se fait petit à
petit, je me remets à rêver la nuit comme au bon vieux
temps, le moral remonte.
Je pars vers les volcans Cotacachi et Tungurahua
à 100 km au nord de Quito, il parait qu'il y a une histoire
d'amour entre les deux.
Après une première nuit dans le village
de Cotacachi, je pars pour la journée à la Laguna
de Cuicocha. En fait, je me dis que la journée, ce n'est
pas la peine de chercher des gens pour parler, tout le monde bosse.
Je passerai donc les journées, pour moi ,et chercherai les
légendes en fin d'après-midi.
Je marche donc, quelques heures autour de la Laguna de Cuicocha
qui est en fait un volcan. Je marche uniquement avec le projet de
m'acclimater pour le Cotopaxi, dans quelques semaines, ne croyez
pas, que je me suis mis, au plaisir de la marche gratuite !
Après 6 heures de marche, j'arrive dans
la communauté de Morocho. Une communauté d'environ
150 familles qui a tout récemment décidé, de
faire venir des touristes. Ils ont construit des petites maisons
très chouettes et proposent des tours écologiques
avec des guides du village sur les plantes et la médecine.
Je suis le premier à venir. En fait, je vais passer 3 jours
complets dans cette petite maison, c'est l'anniversaire de la communauté
et la fête vaut le coup. Parmi les festivités, l'élection
de Miss Morocho est un point important, qui mérite une petite
narration. 7 filles de 15 ans défilent les unes après
les autres. Elles sont habillées en costume traditionnel
et doivent faire un geste traditionnel du type, filage de la laine,
lavage des habits, couture... Ensuite elles répondent à
une question de philosophie du type; Le sport est-il bon pour la
communauté, que penses-tu de l'ouverture prochaine vers le
tourisme? A la suite, un jury désigne la gagnante, qui ira
porter les couleurs de la communauté. L'élection est
vraiment sérieuse, au moins autant que miss France !
Une autre programmation très exotique est
la vaca loca (vache folle), un homme plié en deux porte sur
son dos un panneau de condiments, sur sa tête des cornes de
vaches, rallongées par deux torches d'environ 2 m. Le but
du jeu est d'attraper la nourriture sans se faire brûler.
L'action est rapide, si rapide que parfois, sur un geste sec de
la Vaca Loca, l'essence des torches tombe sur les chapeaux ou sur
le dos des toréadors improvisés. Les copains éteignent
alors le feu, dans de grands cris et le jeu continue. Le reste de
la fête est constitué de défilés, de
danses, de concerts, de matchs de foot.
Plus que tout, de ces quelques jours, je garderai
l'image, des deux petits du couple qui m'héberge, Andy 2
ans et Caterine 4 ans et demi. Leurs yeux malicieux et leurs billes
toute ronde dans les bonnets de laine de type péruvien, me
font tout oublier et je reste des heures à jouer avec eux.
28
Mai "Quito"
Après ces 4 jours, je rentre sur Quito,
je récupère des films que j'ai fait développer
ici, le moral chute, le voile bleu sur le premier film est confirmé
sur les deux suivants: est-ce le labo, les films ont-ils pris la
chaleur ? J'ai vraiment les boules, en plus j'ai des portraits qui
auraient pu être bien, je garde mes autres rouleaux pour les
poster à Piout pour qu'il les développe, dois-je continuer
avec ces films ? Je décide de dire que c'est la faute du
labo et continue à photographier en attendant les remarques
de mon frère.
Le soir, j'ai la chance de pouvoir voir Erwan,
un coopérant français qui bosse sur les volcans d'Equateur.
Il me parle des volcans, me présente des gens du labo et
me voilà parti vers l'observatoire du volcan Tungurahua.
La veille, il faisait des fontaines de laves et les projections
de bombes volcaniques incandescentes ,allaient jusqu'à 300
m de hauteur.
29
- 31 Mai et 1er Juin "Autour du fabuleux volcan Tungurahua"
C'est 4 jours seront vraiment destinés au
Tungurahua, sans jamais que
je puisse le voir découvert de nuages. Je passe deux nuits
à l'observatoire, merci pour l'accueil, la première
nuit on a pu voir des bombes volcaniques à l'aide de lunettes
à amplification de lumière. La lave était donc
toute verte, c'est original, ça change, la seconde nuit le
volcan est resté couvert. L'observatoire, permet aux volcanologues
de corréler les enregistrements sismiques avec la vision
de l'éruption.
La journée, je suis parti à la recherche
des légendes, j'ai passé un des meilleurs jours de
mon voyage. L'évacuation forcée de 25 000 personnes
en octobre 1999 est toujours dans les esprits. Le même jour,
j'ai eu des impressions populaires, de l'église catholique
et des volcanologues sur l'éruption du Tungurahua. En rentrant
à l'observatoire, j'ai envie instantanément de faire
une thèse sur les difficultés de faire comprendre
un danger potentiel d'éruption à une population. Pour
plus d'info, voir la partie concernant le Tungurahua.
Le jour suivant, je loue un vélo pour descendre
vers l'Amazone, 70 km de descente sur les flancs d'un canyon, superbe.
plein de cascades. En bas, l'idée que devant moi, 4000 km
de jungle, me sépare de l'Atlantique, sans une seule colline,
me laisse dans les nuages.
Le jour suivant, je reprends ma collecte dans les
fermes, juste sous le cratère, la végétation
est toute blanche, recouverte de cendre. Le vent soulève
cette cendre qui vient piquer les yeux. La route est défoncée
par les coulées de boue qui ont déposé d'immenses
pierres. Les fermiers sont accoutumés à recevoir de
la cendre ainsi, ils me disent ne pas être au courant de l'activité
réelle et des dangers. De toute façon, ils ne veulent
pas partir, il faut nourrir les bêtes.
02
- 03 Juin "Ca foire, faut changer de rythme"
Après toutes ces émotions et toutes
ces rencontres, je change de volcan, je monte sur les contre forts
du Chimborazo, Roi de Andes. Malheureusement, je perds ma casquette
fétiche dans un bus, le moral chute. En plus, dans le village
où j'ai prévu de crécher, tout le monde est
au marché de la ville. Personne pour vraiment me renseigner,
ça foire. En plus, il y a le match de foot tant attendu Pérou/Equateur
qui décide pratiquement de la qualification pour le mondial
de 2002, ça fait une semaine que tout le monde en parle.
Je décide d'abandonner, je redescends en ville pour le voir.
Le match sera le seul bon moment de la journée, une bonne
ambiance, 1 litre de bière, Equateur 2 Pérou 1. je
rentre un peu bourré à l'hôtel et dors vers
19h.
C'est dimanche, je décide de rentrer à
Quito pour taper tous ces textes, la semaine prochaine, il faut
que je change de rythme. Je ferai donc une semaine de montagne avec
pour but le Cotopaxi 5900m dimanche. J'espère que le soleil
sera au rendez-vous.
Pour les légendes de volcan, il me reste
à découvrir comment s'attribue ici le sexe des volcans,
car dans toutes les variantes des légendes, jamais le sexe
des volcans ne varie. Des questions et réponses très
drôles en perspectives.
4-8
Juin Acclimatation
On est lundi matin, je trace un graphique des altitudes
prévues pour la semaine. Le but est d'être dimanche
matin à 6h au sommet du Cotopaxi à 5897 m. L'impatience
me démange, être là haut, au bord d'un cratère
actif, à 5900m (il y a bien 3m de neige). Je pars vers les
Ilinizas, volcan surmonté de deux pics de plus de 5200 m.
J'en profite pour apprendre quelques légendes puis je monte
au refuge. Il faut 6h depuis le dernier village où j'ai passé
la nuit. Je fais un bout de chemin perché sur la charrue
d'un tracteur, juste au-dessus de pics métalliques qui ne
me rassurent pas vraiment. Le paysan me dépose et m'indique
le chemin d'un grand geste de la main, accompagné d'un" por
alla ", cette indication dont je commence à avoir l'habitude
et qui se traduit littéralement par "par-là " veut
surtout dire "prends cette direction et demande plus loin" !
Je prends un bon rythme et suis le chemin. Le brouillard
tombe, il pleut je n'ai pas de carte et compte sur des paysans mais
à cette altitude, je ne croise plus que d'énormes
taureaux et vaches qui me regardent pleins d'interrogations. Le
sentier se perd, je marche encore 2 heures à la boussole,
sans changer de direction, ça monte. Peu à peu le
doute m'envahit, il devient une obsession, encore 1 heure et je
tombe sur un chemin. Il me rassure, je n'ai d'autres choix que de
le prendre si je veux trouver le refuge avant la nuit. Le chemin
se redresse sérieusement et mon sac à dos de12 kg
me semble vraiment plus lourd à partir de 4500 m.
Après un détour, je tombe sur le
refuge, ouf c'était le bon chemin. On ne voit toujours pas
à plus de 20 m, après une rapide ascension jusqu'à
la neige, je rentre au refuge. Je passe l'après-midi à
me cailler car je n'ai absolument pas le bon matériel. Cinq
alpinistes arrivent au refuge, chacun se met à raconter ses
plus grosses galères devant des soupes chaudes. C'est fou
comme la galère passée peut être agréable
à raconter et à entendre. C'est sans nul doute une
des motivations obscures que les aventuriers ont du mal à
avouer. Le ciel se découvre par trous bleus de plus en plus
grands. Au crépuscule, la voûte céleste n'est
plus qu'une multitude de points blancs, à chaque minute plus
nombreux. Au loin, le Cotopaxi, recouvert de son poncho de neige
semble assis là, pour l'éternité. La pleine
lune est juste au-dessus de lui, ces deux corps semblent si proches.
Je ne résiste pas à raconter les légendes apprises
dans le village au pied du volcan et notamment d'expliquer que le
nom Cotopaxi se traduit par Cou de la Lune. L'image de ce cône
et de cette boule suspendue au-dessus de lui me plonge encore plus
dans la beauté de ces histoires.
Le lendemain, par un temps radieux, je pars vers
le sommet de l'Illiniza Norte, à 5160 m. Le gardien du refuge
me dit qu'on peu s'approcher du sommet assez près sans matériel
mais que le piton rocheux terminal nécessite d'être
encordé. Je me surcharge pour parfaire mon acclimatation
et pars gonflé à bloc. Des cairns (petite pyramide
de cailloux signalisant le chemin) indiquent un passage que je suis
et juge suffisamment sur. Me voilà debout, sur les quelques
cm² du sommet. C'est mon premier sommet en solo, mon premier 5000m.
Les mots seront toujours trop fades pour exprimer les sensations
de cet instant. Je ne le partage avec personne alors je bouille
de l'intérieur. Mon appareil photo va me servir de soupape
et le retardateur en marche je le regarde fixement. La concentration
baisse et je manque de perdre l'équilibre, ce qui serait
fatal à cet endroit. Une fois que la poussée d'adrénaline
est diluée dans le sang, je range le matériel et entame
prudemment la descente. Le Cotopaxi est face à moi, je le
regarde avec plein d'impatience.
Je redescends dormir en ville pour récupérer
puis monte au refuge Whymper, au pied du Chimborazo. Ce volcan de
6324 m est le plus haut d'Equateur. J'ai décidé de
ne pas le tenter car il me fait moins rêver. Il n'est plus
actif et ne possède pas de cratère. Néanmoins
pour la beauté des falaises, pour dormir à 5000 m,
et me faire une ballade à 5200 m c'est l'endroit rêvé.
Le gardien du refuge me raconte quelques légendes mais il
est métisse et me conseille d'aller demander à des
indiens. Les histoires qu'il connaît sont liées à
la religion chrétienne.
Après une nuit à me cailler, je redescends
dans un vent à 100 km vers la route. Le groupe qui s'était
levé à minuit pour faire le sommet à d'ailleurs
fait demi-tour après 1 heure de marche. Avec l'altitude,
le temps est la véritable difficulté de ces montagnes.
Il est aussi imprévisible que les femmes me disait le gardien
du refuge.
9-10
Juin Le Cotopaxi
Mes 5 jours d'acclimatation se sont déroulés
comme prévu, en plus je me suis fait vraiment plaisir. J'ai
juste pris froid, mais ce n'est pas un nez qui coule ou une gorge
qui se révolte qui pourront remettre en cause l'ascension.
Je loue le matériel et, du à un désistement
de dernière minute, me retrouve seul avec un guide. Le robuste
Francisco a une quarantaine d'année. Ses pommettes usées
par le vent, le soleil et le froid le rendent agréable. Je
lui parle de mon voyage, comprend ma motivation. Il me dit que l'ascension
jusqu'au sommet ne dépend que de moi et que les conditions
météos, il en fait son affaire, je lui rétorque
que je pousserai mon corps à bout pour arriver la haut. Un
pacte est ainsi passé entre nous, chacun jouera son rôle.
J'ai appris que le taux de réussite est d'environ 10% et
je ne ferai qu'une tentative. Le temps se gâte, il neige et
le vent souffle.
Les 80 personnes du refuge se couchent, l'excitation
m'empêche de dormir puis Francisco me prend le bras " Vamos
". Je sors de mon duvet, il est minuit, dans 7heures j'y serai.
Les 80 personnes ont le sourire, pourtant dehors
il vente de plus belle et le brouillard a remplacé la neige
tombante. Dans les Alpes, tout le monde resterait couché,
ici peut être que le temps est véritablement femme
! Enfin c'est la seule explication que je trouve à cette
innocence. En plus, on va monter à près de 5900 m
et même sous les tropiques un glacier reste un glacier !
On part à 3, Henri un français rencontré
au refuge, s'est joint à nous. Nous faisons totalement confiance
à Francisco qui est monté la haut environ 800 fois.
On part dans les premiers pour être tranquille. Les conditions
sont effectivement dures. Apres quelques heures, ma barbe est complètement
gelé, il a fallu dégeler les lunettes d 'Henri à
plusieurs reprises, une frontale a rendu l'âme, prise dans
la glace. Le jour se lève mais le temps, lui, y renonce.
Il nous reste maintenant 90 m de dénivelé
pour atteindre le sommet. La pente se relève jusqu'à
50° et les 50 cm de neige fraîche ralentissent notre progression.
Nous nous regardons d'un air interrogateur car nous savons tous
qu'on ne verra rien à plus de 10 m. Je sens l'odeur caractéristique
du soufre dégagé par les fumerolles mais même
là haut je ne pourrais pas les voir. Sans rien dire, on continue
notre ascension. Même si je sais que je ne pourrai faire la
trace plus de 5 minutes, je propose à Francisco de passer
en tête pour soulager son effort. Il refuse et continu sans
relâche à tailler les marches dans la neige et la glace.
Une heure après, il ne reste plus que 20 mètres, le
vent devient encore plus violent et les sifflements nous obligent
à crier pour communiquer, même à 3 m les uns
des autres. Francisco me propose de renoncer ici. Mon inconscience
prend le dessus et je lui dis que je sais que je ne verrai rien
là haut mais que je veux faire le sommet. Il accepte de continuer,
je bouille de l'intérieur, l'ivresse de l'altitude de la
fatigue et du manque de nourriture me fait oublier les dangers de
la montagne, sans que sur le moment j'en aie conscience. Dix minutes
plus tard, une rafale vient nous coucher tous les trois sur la paroi.
Pourquoi nous a-t-elle collé face à la neige et pas
fait tomber en arrière ? Est-ce le hasard ou juste un signe
pour nous dire de ne pas monter plus haut. Là Francisco ne
me demande plus, il décide de faire demi-tour. J'ai envie
de me désencorder et de faire les 12 mètres restant.
Renoncer est difficile et la seule raison pour laquelle je ne vais
pas plus loin est ma confiance envers Francisco. Le Cotopaxi est
sa montagne, il a la réputation au refuge de toujours faire
le sommet et là il décide de renoncer. On s'embrasse
tous les trois, sans que le cœur y soit.
La descente est plus rapide, mais le brouillard
est toujours tout autour de nous. Après 1 heure environ,
Francisco hésite. Je cherche à comprendre ce qui se
passe sans poser de question. Tout autour de nous on distingue un
labyrinthe de crevasses. Là, je prends peur, beaucoup plus
que la haut. On est sans doute perdu ! Je laisse Francisco faire
des zigzag sans lui monter mon inquiétude. Je ne sais pas
si Henri se rend compte. Après 20 minutes je m'approche de
Francisco. On en parle calmement. Il me dit qu'il n'y a normalement
qu'un seul pont de neige pour sortir de cet endroit du glacier,
mais qu'il ne le retrouve pas. Je suis incapable d'apporter la moindre
aide. On continue à marcher. J'ai peur qu'il ne prenne un
chemin plus risqué et qu'on soit bloqué plus tard
par des ceraques. Après environ une demi-heure supplémentaire,
je le vois se retourner avec le sourire. Francisco à belle
et bien retrouvé l'unique pont de neige. On s'embrasse, et
cette fois-ci, les accolades sont fortes et le bonheur coule dans
nos veines.
La descente continue, on ne voit toujours rien.
Henri commence à être vraiment fatigué, j'ai
vraiment envie de manger et de dormir, on marche depuis 10 heures
à plus de 5000 m dans des conditions difficiles.
Soudain, Francisco, placé à l'avant
de la cordée pour trouver le chemin de descente disparaît.
La corde se tend. Par réflexe, avec Henri, on se retrouve
couché dans la neige, le crampon planté au plus profond.
L'essentiel est fait, on est arrêté. Nous plantons
chacun nos piolets et faisons tour à tour des boucles pour
sécuriser tout ça. On appelle Francisco pour avoir
des nouvelles, pas de réponse. Vu la tension de la corde
il est toujours suspendu. Je ne connais pas les techniques pour
sortir quelqu'un d'une crevasse, Henri me dit que lui non plus.
On commence à tirer comme on peut sur la
corde. Puis peu à peu elle s'allège, c'est bon signe.
Francisco retrouve des appuis, il ne va donc pas trop mal. On continue
à tirer, jusqu'à ce qu'on voit un piolet sortir de
la crevasse. Puis il sort la tête avec une expression de soulagement.
Plus de peur que de mal. Après quelques minutes, Henri traverse
à son tour le pont de neige. Je luis emboîte le pas
mais il cède sous mon poids. Je me retrouve suspendu au milieu
de la crevasse. Mes deux compagnons s'attendaient à cette
chute donc ils me retinrent sans difficulté. De mon côté
je n'ai pas eu peur et je m'empresse de remonter le mur de glace
aidé de leur traction. Là encore, de l'autre côté
de la crevasse, les accolades sont émouvantes. Ca commence
à faire beaucoup pour une journée et le chocolat chaud
au refuge devient le but de ma vie. Le reste de la descente est
plus classique et un rayon de soleil vient illuminer le refuge juste
à notre arrivée. Le gardien du refuge, nous dit qu'il
commençait à être inquiet car les 30 autres
cordées sont redescendues de bonne heure.
L'aventure se termine, dans la voiture qui nous
ramène à Quito, personne ne parle, on ne dort pas,
j'imagine que comme moi Francisco et Henri se refont mentalement
l'ascension et surtout la descente.
Le soir, je pars vers un point Internet pour raconter
mes exploits à ma famille quand, devant l'écran, mes
yeux commencent à me brûler à chaque clignement
d'œil. Je ferme l'ordinateur et rentre me coucher. La douleur augmente.
Je ne supporte plus les paupières sur mes yeux. J'ai du me
geler la surface des yeux avec le froid et le vent. Nous n'avions
pas mis les lunettes car sinon c'était impossible de voir
quelque chose. Une erreur de base à ces altitudes mais vu
l'épaisseur du brouillard, je n'avais pas trop peur des UV.
J'hésite toute la nuit à aller à l'hôpital.
D'un côté j'ai vraiment mal, de l'autre je me dis que
c'est juste une brûlure superficielle et que ce n'est pas
grave. Je prends quelques anti-douleur et attends le jour pour consulter.
Au petit matin, mes yeux sont collés par
toutes mes larmes de la nuit. Je vais voir un grand pharmacien proche
de mon hôtel pour éviter d'être sous la lumière
trop longtemps. Il me donne un collyre et 2 heures après
je peux rouvrir les yeux. La douleur passe légèrement,
je repousse l'hôpital à cette après-midi et
reste couché sur le lit, les yeux fermés, à
refaire le Cotopaxi. J'hésite encore puis décide d'attendre
le lendemain.
Au matin, les progrès sont nets, je ne peux
pas sortir dehors les yeux grands ouverts mais dans ma chambre,
sans courants d'airs j'arrive à lire presque normalement.
Je prends donc encore deux jours de récupération
forcée.
On est maintenant jeudi, ça fait quatre
jour que je récupère et suis prêt à repartir
vers d'autres aventures.
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